Chamonix, des aiguilles, une traversée...

Depuis la vallée on ne voit qu'elles.
Depuis l'intérieur du massif aussi.
La ligne ne peut pas être plus logique : on part d'un côté, on vise l'autre en suivant la crête. 
Les costaud la font en nord > sud, les ordinaires partent de l'aiguille du midi et filent vers le nord jusqu'à l'aiguille de Blaitière.

Gaston dans ses "100 plus belles" conseille de l'agrémenter par un final en A/R au Grépon...
Sacré Gaston! Tiens, un petit A/R au Grépon, juste comme ça pour finir la traversée en beauté ;o)




 Ca faisait bien longtemps que je/nous n'avions pas fait ce genre d'incursion en montagne : du bel alpinisme classique, au sens noble du terme.


Plutôt que d'aller tirer des longueurs à l'arrière de je ne sais quel refuge, les conditions anticycloniques dantesques de ce mois de juillet nous attirent irrésistiblement vers du plus sauvage,  vers ces courses où la nécessité du bivouac impose un grand ciel bleu sans concession.
Surprise : nous sommes seuls à quitter l'aiguille du midi en direction des Aiguilles.
Ca m'évitera peut être de me faire arracher l'épaule par un aspi qui ne tient pas sur ses crabes et de redescendre en hélico...

Nous ne croiserons donc plus personne pendant 36h., jusqu'à la moraine des Nantillons.


Nous ne "suivrons" donc aucune cordée, ce qui va rendre à cette course un de ses indéniables intérêts: trouver l'itinéraire. 
Un jeu subtil où souvent le meilleur topo consiste à se mettre dans la peau des ouvreurs de l'époque et passer au plus simple.


Ici le jeu est poussé assez loin...
Le talent des "anciens" saute aux yeux : montées, traversées, descentes, remontées, retraversées, redescentes, etc. sur 3km d'arête... 
L'itinéraire est parfait, aussi surprenant que logique et bien trouvé.
A part un bon fourvoiement au tout début, le reste déroule.
Il faut savoir observer, anticiper, et être si possible rapide sur les manips de cordes.


Un exemple de subtilités dans les rappels du Caïman : un petit pas de 6a "old school" pour rejoindre le troisième rappel, sur un des 4 pitons que nous aurons croisé pendant deux jours.


Dans le Caïman toujours, le dernier rappel se fait le long de ce qui serait une incroyable longueur de grimpe : une fissure écaille verticale sur 15 mètres suivi d'un ahurissant mur à knobs


Nous oscillons d'un versant à l'autre, nous oscillons entre nuages et canicule, nous sommes entre le Ciel et la Terre quelque part sur ces Arêtes.
Versant Chamonix, les crampons et la pioche ne sont jamais bien loin.


18h00, nous nous posons au col du Caïman.
Dans ces longues courses, il faut aussi savoir se poser "au bon moment" (notion très personnelle) :
emplacement, horaire, forme physique...
Nous bivouaquons donc là.


Le bivouac dans le ciel est aussi ce qui rend cette traversée si attrayante.
Profiter quelques heures d'une petite roulée et de framboises en admirant les jeux de lumière sur l'arête sud du Fou justifie tous les efforts du jour et du lendemain.


21h00, à l'ombre des fissures du Caïman, nous sombrons dans un sommeil réparateur.


Et puis le lendemain la progression reprend : délover, descendre, relover, progresser, délover...


Au programme du matin, l'ascension du Fou.
Montagne magique, face sud magique, raideur absolue.
Ce matin l'ambiance est austère : mais où sont le bleu et la canicule? vent, plafond bas, ciel gris...
Allez, on met la doudoune et on va faire le Fou.


Là grimpe devient plus raide, beaucoup plus raide.
Nous avons fait le choix de prendre un paire de chaussons pour le leader, et ne le regrettons pas.
De vraies longueurs de grimpe qui certes passent en grosse (j'ai testé ;o) mais en tête ce n'est pas la même!


Sur le haut du Fou, un récent éboulement a modifié la donne : versant Envers, une longueur dans un dièdre pourri a souhait nous donne un peu de fil a retordre. 
Admirez la fissure en arrière plan : 25 mètres de verrous potentiels. Fou!


S'adapter au terrain : leader light sans sac, second chargé façon muffle du Zanskar + hissage de sac.


Le Fou s'apprivoise doucement mais surement, sous l'oeil bienveillant de cet imposant Caïman.
C'est un des privilèges de cette course : vues en enfilade, on comprend mieux pourquoi on leur a donné le nom "d'aiguilles".


Une dernière longueur dans la douceur revenue...



... et nous voici au sommet du Fou, sommet mythique que l'on ne foulera peut être pas si souvent que ça dans notre vie de montagnards. 
Après la caillante du matin nous nous offrons une pause dans le solarium de l'après sommet versant Envers.


Et puis le chemin continue : descente versant Envers, contournement des Ciseaux.
Là encore, il faut savoir regarder. 
Les anciens avaient du flair. Certainement plus que nous : c'est ce que je me dis pendant que je remonte aux prussiks les 30 mètres qui me séparent de ce f#..!!*§!! noeud coincé.
Mais coincer sa corde dans ce genre de terrain est presque normal, ça fait partie du jeu.


Une grande rampe ascendante sous Blaitière nous pose à la brèche débouchant du couloir Spencer : 
ça sent la fin. 
"LA" traversée est désormais dans notre dos, il ne nous reste plus qu'à descendre par les Nantillons.

Quelques derniers bricolages nous attendent pour terminer : nous ne saurons qu'a posteriori qu'une nouvelle ligne de rappels a été équipée pour passer le bas des Nantillons (chaleur, baisse du glacier).

A 19h00 nous sommes sur la moraine, à 21h00 à Cham.

Un voyage magnifique à partager entre amis, une grande et belle course de Montagne comme je n'en avais plus fait depuis longtemps. 
Tout y passe : le mixte du versant Cham, les nombreux passages de vraie grimpe, la sortie "par le haut", la grimpe en grosse, le bivouac...

Quelques précisions logistiques pour terminer? 
2x50 mètres, 1 jeu de C4 jusqu'au #3, sangles, 1 paire de chaussons pour le leader (au Fou), de vrais piolets/crampons (oubliez les trucs en carton), des bras, et du respect pour les anciens.
Le bivouac au col du Caïman est le dernier avec de la neige a proximité : ceux du col du Fou sont aussi secs que Tamanrasset au mois juillet.
En cas de pépin : apparemment ligne de rappels équipée au col du Fou pour rejoindre le refuge de l'Envers (non testée).


Bon voyage, beau voyage.


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