Half Dome, le sommet lunaire

Half Dome : une montagne absolue, un profil unique, un reve du fond du lit, un fantasme de grimpant... Existe t il beaucoup de sommets a l'aussi fiere allure?


En partant au Yosemite, je revais secretement de Half Dome et sa majestueuse face Nord Est. Au demeurant, je sais qu'a l'automne, cette exposition peut etre synonyme d'escalade glaciale. Pas de plan sur la comete, en se disant que "nous verrons sur place". Et puis l'envie est presente, bien presente, nous sommes sur place, la meteo est exceptionnellement chaude : tous les voyants ne seraient-ils pas au vert???

Dans cette face, la mythique voie classique, imaginee en son temps par Royal Robbins. Le Nose est convoite par Harding, dont acte : Robbins ira tracer l'autre face mythique de la vallee, pour ce qui est encore aujourd'hui une des voies les plus convoitees du Yosemite.

Pourquoi donc y aller? Oure le profil unique du Half Dome (qui pour moi est bien plus attirant que  El Capitan car plus "esthetique"), la classique nord ouest ressemble presque a une escalade de nos alpes, la longueur en plus. Un granite moins lisse, une voie envisageable a la journee en etant rapide, on est donc la dans un style bien different d'El Cap.

Nous tenterons donc la strategie "fast and light", a savoir grimper les 650m de face a la journee. L'escalade s'y fait plutot en libre : 23 longueurs dont 7 d'artif, et quelques passages mythiques comme les cheminees (glurp!) et "thank's God ledge" (=la vire merci mon Dieu...) Tout un programme!

La strategie est assez simple : 

Jour 1 : on accede au pied de la face en choisissant la montee directe par les dalles, sous la face. Des cordes fixes sont en place, il parait que les Rangers les enlevent regulierement (mais n'ont ils rien d'autre a faire?) Je conseille cette approche car en 2h30 on touche enfin la face nord... L'alternative est de prendre le chemin et de faire le tour du Half Dome, mais on met 6 heures.

Ne serait-ce que pour se tenir devant ce mur, cette ballade vaut le coup.

La methode consiste alors a grimper dans la foulee les trois ou quatre premieres longueurs, et a redescendre au pieds. Le lendemain, on remontera ces longueurs aux jumars by night, ce qui est plus rapide que de grimper de nuit.

Juste au depart de la voie, on trouve de nombreux emplacements a bivouac grande classe ou  nous nous offrons une belle soiree avant le grand combat du lendemain.

Un detail tres important : pas la peine de monter vos 10 litres d'eau, il y a une micro source juste au depart de la voie, et une resurgence y remplit d'eau fraiche un trou d'eau de 30 cm de large. Au premier regard, ca ne donne pas franchement envie d'y boire. Dans les faits, l'eau y sort doucement mais surement, fraiche et filtree par des centaines de metre de granite... une sacree economie de poids lors de l'approche. A l'issue d'un ete caniculaire, nous nous y sommes abreuves : je pense donc qu'elle ne se tarit jamis.
Avec nous au bivouac, deux autres cordees de pretendants. Discutez la veille et planifiez votre depart en fonction des intentions des autres cordees. En general, celui qui est arrive le premier (et donc qui a fixe ses cordes) est prioritaire le lendemain. Nous decidons courtoisement de laisser passer une cordee de 3 ricains, qui partirons une heure avant nous.

Jour 2 : Le reveil sonne a 3h00 pour une longue journee, sans nul doute. Certes, on pourrait dans nos alpes envisager 23 longueurs presque sereinement. Ici on y part humblement, car certaines longueurs sont de l'artif pure (et demandent donc beaucoup plus de temps) quand d'autres sont de longues successions de cheminees pour lesquelles nous savons que nous ne savons rien (ou presque) de la maniere dont on y grimpe. Nous sommes donc un peu tendus quand, dans le halo des frontales, nous "jumardons" sur nos ficelles ( 1 par personne suffit car ensuite on ne les utilise plus.)


 Pas de superbes photos de l'ascension, desole!!! L'ombre de la face nord et le petit compact, seul compagnon du voyage, sont difficiles a combiner. Et puis il faut  bien l'avouer : on met du temps a "se poser" (et peut etre alors faire des photos) car pendant tout le premier tiers, je sens une certine tension et la concentration se porte d'avantage vers la progression. La hauteur de la face fait son effet : nous sommes litteralement ecrases.

Nous abordons la succession de cheminees avec une petite apprehension.

Nous nous accordons une petite pause prealable pendant laquelle nous laissons passer une cordee de 2 locaux : ces deux la, dans les cheminees, vont randonner la ou nous couinerons, c'est sur!

Bonne idee : la premiere longueurs de cheminees, sur le topo, passe soit en artif a gauche soit dans la cheminee (reservee au grimpeurs francais vraiment "curieux", dixit Arnaud Petit...) Il existe en realite une variante : commencer par la cheminee ("facile") puis viser une grande boite aux lettre (inmanquable) au fond de la cheminee (bonnes protections). On la traverse pour ressortir sur une dalle a l'exterieur des cheminees, et on rejoint le relais par une bonne fissure a doigts en 5.10b. Je conseille vraiment ca plutot que d'aller couiner dans une longueur d''artif. C'est impressionnant du bas mais ca passe en realite tres bien.





Apres plusieurs longueurs de cheminees plus ou moins difficiles -en tous cas jamais faciles!!!- on a enfin l'impression d'etre dans le timing, en debouchant sur "Big sandy ledge". C'est la que ceux qui bivouaquent s'arretent passer la nuit. Nous y prenons pieds a 15h00, assez contents de notre rythme je dois dire. Plus que 7 longueurs et nous sommes en haut, cela fait deja 12 heures que l'on grimpe.

La suite differera un peu de nos plans initiaux -mais tant mieux!- Devant nous, ca bouchonne severe! Nous avons rejoint une cordee lente qui, partie la veille dans une logique "bivouac en paroi", se traine lamentablement un monstrueux sac de hissage dans ce terrain absolument pas fait pour. En clair : ca bouine severe!

Au dessus, plusieurs longueurs d'artif ou il est impossible de doubler. Nous avons le choix : option 1 on prend notre ticket et on grimpe au rythme lent des premiers. Option 2 on mise sur notre doudoune, le poil d'eau qu'il nous reste, nos 3 barres de cereales et on improvise un bivouac ici. Le choix est vite fait... Si nous continuons, au mieux on sort au sommet a minuit. Si on reste, on passera une nuit perdus au milieu de nulle part et on terminera tranquillement le lendemain. Le choix est assez vite fait : nous nous offrons la suite royale du Half Dome hotel pour nous seuls, avec vue imprenable sur le monde.


Nous passons la une nuit litteralement exceptionelle. La face nord ouest beneficie du soleil du soir dans un festival de couleurs. 1300 metres sous nos pieds, les campings de la vallee nous font de l'oeil. En face, perdus dans les forets, quelques feu de camps s'allument ca et la. Et nous, heureux, assis sur notre vire, nous admirons le spectacle d'un crepuscule magique.

Alors certes, la nuit ne sera pas des plus confortables car ce bivouac est improvise, mais peu importe. Elle reste pour moi parmis mes meilleurs souvenirs de bivouac. Comme un andouille, j'oublie que je dispose d'un mode "camera" sur mon compact... Quel dommage de ne pas avoir filme cette ambiance!

Au petit matin nous nous remettons a l'ouvrage. Les longueurs restantes ne sont pas donnees, majoritairement en artif. Je mesure que d'une part nous avons fait le bon choix la veille car de nuit c'eut ete une autre musique; et d'autre part dans cette artif cotee C1/C1+, je suis desormais assez efficace voire meme rapide, la ou 3 ans plus tot je faisais figure de limace (j'en bavais autant que j'etais lent!)

Nous nous retrouvons donc rapidement devant la mythique "thank's God ledge", vire horyzontale de 15 metres de long sur 30 cm de large, qui permet d'eviter (merci mon Dieu) les gros surplombs sommitaux. Ca serait comme se deplacer en pas chasses sur le banc de la cuisne le nez colle conte le mur, sauf que la on est a 600 metres du sol. Ambiance absolue!
Tellement facile sur le papier. Tellement unique en realite!

On  a beau etre quelque peu habitues au vide, l'exercice ici n'est pas des plus simples. On a beau se dire que c'est seulement dans la tete que ca se passe, il n'empeche qu'il s'y passe plein de choses!!!

On respire fort et on avance!

Au dessus, une derniere longueur d'artif en dalle avec une traversee un poil aleatoire ou, une fois encore, je benis mon micro ballnut!
Encore une longueur, puis nous retrouvons le monde horyzontal, le sommet, le repos. Heureux oui nous le sommes et nous pouvons l'etre. Voici un voyage, un tres beau voyage, de ces voies que l'on parcourt en reve ou quelques fois lors de jounees inspirees.

Plus que jamais, je me dis que beaucoup des barrieres que l'on a en tete ne demandent qu'a etre soulevees... La volonte fait des miracles et l'imagination rend parfois terrifiantes des choses qui ne le sont pas...

Le yosemite propose aussi ce genre de voyages et c'est pour cela que l'on y va. Merci Ju de m'avoir permis de donner corps a ce vieux reve. Un de plus au compteur!!!


Commentaires

Boris Dufour a dit…
la super grande classe américaine
Jo a dit…
Superbe aventure, joli récit et tu as tort les photos sont sympas et font bien rêver
Philippe a dit…
Oui une question - lorsque tu parles de fixer des cordes fixes dans les premieres longeurs..ca veut dire que tu te trimballes un stat ou tu fixe deux brins de 50 normaux?
Yannick Ardouin a dit…
Philippe

Nous avions 1 rappel de 2X60m, pas de stat, qui nous a permis de fixer les 3 premieres longueurs. Le rappel me semble bien adapte a la physionomie de la voie, ou l'on est parfois content de limiter le tirage en clippant alternativement. Tu n'aurais pas cette option avec une stat.